Plus ou moins cinq mille kilomètres du nord au sud. L’Argentine c’est grand. L’Argentine c’est long. Et comme il nous y arrive tout plein de choses, nous avons décidé de découper nos récits. En voici la première partie, relatant nos tours de pédales entre La Quiaca, dans la province de Jujuy au nord, et Trevellin, dans la province de Rio Negro, d’où nous passerons sur la Carretera Austral au Chili.
Retour à basse altitude
Le 16 Septembre 2015, c’est de bon matin que nous franchissons la frontière entre Bolivie et Argentine, au poste de Villazon – La Quiaca. Une fois n’est pas coutume, il y a du monde et, après avoir fait tamponner nos passeports pour 3 mois de séjour, nous faisons passer comme tout les autres nos bagages dans la machine rayons X. Transportant encore un sachet de feuille de coca, Samuel passe néanmoins sans anicroche…
Dès les premiers mètres, une difficulté imprévue se présente. Nous pensions faire le change de la monnaie bolivienne restante coté argentin, mais nous nous rendons vite compte que cela est impossible. Aucun bureau de change à l’horizon et les banques nous confirment que le Boliviano n’est pas le bienvenu. Très bien, Samuel retourne « illégalement » quelques minutes coté Bolivie et effectue le change de ce coté-là. Le taux qu’il arrive à trouver est d’ailleurs excellent. L’Argentine connaît actuellement des difficultés avec sa monnaie. Ainsi il existe pour de nombreuses devises un taux officiel et un autre pour le marché noir. Par exemple, durant notre séjour, le Dollar vaut environ 9.50 pesos argentins, alors que le Blue Dollar (le Dollar du marché noir) monte en flèche autour des 15 pesos. Les quelques billets verts que nous avons mis de coté depuis l’Equateur vont nous permettrent de gagner sans trop d’effort quelques pesos.
Les premiers arpents de terre sont similaires à la Bolivie, pas grand chose dessus, une végétation sèche et jaunie par un soleil qui frappe fort. Il faut dire que nous sommes encore sur un haut plateau autour de 3500m. Notre première nuit, passée dans l’arrière cuisine du poste de police d’Abrapampa, le confirme : il fait toujours aussi froid. Dès le lendemain, nous observons depuis nos vélos les formations géologiques magnifiques qui longent le bord des routes dans la Quebrada de Humahuaca, patrimoine mondial de l’humanité. Arrivant dans la ville éponyme, nous décidons de faire une petite séparation de quelques jours. Sam et Clément (alias Coco) veulent affronter leurs derniers 4000m pour glisser ensuite vers Valle Grande à travers la jungle. Jérémy (alias Gooby) est fatigué des chemins de cailloux et opte pour une descente de 100Km directe vers la vallée de San Salvador de Jujuy. Les premiers affrontent une ultime fois les froids des hauteurs dans des décors toujours aussi magiques et suivent en descendant un petit chemin rugueux et pas très large, le Camino del Inca, qui longe un précipice vertigineux. Le dernier, revenu à 600m d’altitude, roule tranquillement à travers les plantations de canne, très présentes par ici, et est hébergé au pied levé par la famille Flores. Les argentins sont un peuple accueillant et hospitalier. Ils adorent discuter de tout et de rien, la plupart du temps autour d’un mate. La boisson nationale se consomme à n’importe quelle heure de la journée, un verre rempli d’herbe séchée dans lequel est rajouté de l’eau chaude régulièrement, sirotée à travers une paille de métal. Le rendu est très amer et inhabituel pour nos palais, mais le rituel et la convivialité autour de ces moments sont très sympathiques. L’équipe se retrouve après quelques jours à Libertador General San Martin et commence sa migration vers le sud. Le long des routes nous apercevons d’innombrables petits autels. Dédiés parfois à la Difunta Correa ou encore à San expedito, les plus nombreux sont rouges et à la mémoire de Gauchito Gil, un berger qui, selon la légende, aurait été pendu à tort et apporterait bonne fortune à qui le prierait. Des offrandes y sont souvent déposés, parfois juste une bouteille de plastique rempli d’eau. Après quelques kilomètres, nous empruntons un « ripio« , chemin de terre, qui nous amène vers le barrage de Cabra Corral. Le sentier est majoritairement emprunté par les Gauchos, les bergers argentins à chevaux, que nous croisons dans leurs habits tradionnels et accompagnés de leurs bêtes. C’est là que nous passons les 50 000 Km au compteur, la distance que nous avions prévue de faire au départ de notre aventure. Au visu du trajet devant nous, nous ne pouvons que constater le coût des quelques détours que nous avons effectués. Nous ne sommes pas encore arrivés… Cela ne nous empêche pas de profiter d’une excellente soirée le long de la rivière descendant du barrage, lieu de camping parfait, petite baignade dans les eaux où le poisson est abondant et séchage devant le feu de camp que nous avons érigé. Dès le lendemain, la route commence à remonter, pente légère que nous suivons sans trop de mal, et le climat devient plus sec. Après une nouvelle nuit de camping dans le petit village d’Alemania, nous empruntons l’asphalte sinueux de la Quebrada de las Conchas qui évolue à travers des décors magnifiques. Nous passons la journée le nez en l’air à regarder ébahis les canyons, la Garganta del Diablo et autres formations géologiques impressionnantes. Enfin nous rejoignons Cafayate et la Ruta National 40.Retrouvaille et pause rugbystique sur la route 40
La route national 40, c’est un monument pour tout les voyageurs sur roues, cyclistes et motards, en Argentine. Elle longe les Andes du nord au sud du pays, de la frontièe bolivienne jusqu’en terre de feu. Lorsque nos roues l’emprunte, le panneau nous indique 4353 Km… La route va être longue, d’autant plus que les distances entre les villes vont en grandissant, souvent une bonne centaine de kilomètres entre deux bourgades, et nous obligent à nous charger en vivres. Point de culture locale particulière à retenir en passant, la grande majorité des magasins et institutions ferment entre 13h et 18h, l’heure de la sieste, pour rouvrir ensuite jusqu’à 22h ou plus. Nos mentalité d’européen ont du mal à s’habituer à ce rythme, et plus d’une fois nous ferons chou-blanc en arrivant dans un village en milieu d’après-midi cherchant de quoi déjeuner.
Nous arrivons à Cafayate. Située aux alentours des 2000m, la petite ville est renommée pour ces vignobles qui fleurissent sur ce plateau encerclée de montagnes. Le climat particulier, il ne pleut qu’un mois par an, et l’altitude en font un vin particulièrement apprécié des amateurs. Aidés par la police touristique, nous dégôtons une place pour passer la nuit dans le complexe sportif de la bourgade. C’est un bon plan que nous répèterons de nombreuses fois durant notre voyage vers le sud. Les distances entre les villes étant très grandes, les gymnases possèdent souvent un dortoir pour les sportifs venant rencontrer l’équipe locale et, avec un petit peu de conversation, nous arrivons fréquemment à emprunter les installations pour la nuit. Le lendemain, au milieu d’un chemin poussiéreux et chaotique, nous apercevons un cycliste venant à notre rencontre. Il s’agit de Wolfi, notre collègue allemand avec qui nous avons traversé l’Equateur et une partie du Pérou (cf. Journal N°22 et Journal N°23). Les retrouvailles sont joyeuses et, tout en décidant de suivre la même route, nous racontons nos aventures respectives de ces quelques mois de séparation. Nous revoilà donc une équipe de quatre, lancés pour le pire et le meilleur sur la route 40. Une centaine de kilomètres plus loin, nous campons près de Hualfin et profitons d’une source d’eau chaude sortant des montagnes environnantes pour décompresser d’une journée bien venteuse.Nous arrivons finalement à Belen, dans la province de Catamarca, où nous sommes hébergés par Antonio. Nous sommes en pleine période de la coupe du monde de rugby, et lorsque nous demandons à notre sympathique hôte où est-ce-que nous pourrions trouver un lieu pour regarder quelques parties, celui-ci nous rencarde avec l’équipe locale. Il n’en faut pas plus pour que quelques heures plus tard nous voyons débarquer un jeune en tenue sur sa mobylette qui nous dit : « Vous venez jouer au rugby ? » Et dix minutes plus tard, nous voilà de nouveau sur un pré de l’ovalie, après plus de deux ans éloigné des crampons. La jeune équipe des Condors de Belen nous a invité à participer à l’entrainement. Le terrain est un champ de poussière, la chaleur écrasante, mais nous sommes heureux de toucher un peu de ballon dans une bonne ambiance. Le jeu argentin est très différent de notre jeu habituel. Ils courent dans tout les sens, pas de temps d’arrêt. Pénalité ou jeu dans les 22m, peu importe, tout les ballons sont joués à la main et ils ne faut pas un quart d’heure pour que nous soyons complétement occis, cherchant l’oxygène à travers le nuage de poussière qui englobe chaque regroupement. Gooby :
Nous prenons énormément de plaisir à jouer et c’est avec le sourire au lèvres que nous rentrons le soir, le tee-shirt déchiré et un oeil au beurre noir pour Coco , exténués mais content. Nous restons quelques jours de plus avec la promesse de participer à une rencontre contre le village voisin (situé à plus de 100Km tout de même). Mais finalement, l’équipe adverse refuse notre présence sur le terrain, surement apeurée par nos qualités rugbystiques potentielles… Nous jouons du coup un peu avec les juniors, plus tranquillement, et cela n’est pas plus mal car nous avons des courbatures monstrueuses. L’esprit et le fair-play est vraiment important dans le rugby argentin et nous sommes plus qu’agréablement surpris de voir les deux équipes faire une ronde tous ensemble à la fin du match, de se féliciter mutuellement, chaque capitaine remerciant les adversaires pour leur combattivité, un « Un, dos, tres, Rugby ! » clôturant l’oration. Nous passons la soirée en compagnie des Condors, buvant quelques bières, testant le Fernet (un alcool d’herbe pas tout à fait à note goût) et les excellentes grillades locales, tout en écoutant nos nouveaux amis qui grattent la guitare et chantent du Folklore toute la nuit.Je croise le regard hagard de Coco après une phase de jeu qui a bien dû durer une ou deux éternités, et je vois bien qu’il me raconte la même histoire. Il vient de placer sa fameuse feinte de passe, a mis un cul à un pilier et s’est envolé sur 20m, crochetant sous les olés des juniors qui nous regardent… En bref il a tout donné sur cette action et comme moi, il est complètement cuit !
Des steppes andines à Bariloche
Le retour sur le vélo est difficile, traversant le sud de la province de Catamarca, les provinces de Rioja et de San Juan. Certains jours le soleil frappe fort, le vent nous soufflant parfois dans le museau, et d’autres, climat inhabituel pour la saison, effet collatéral de El Nino, la pluie et le froid nous engourdit les doigts. Les étapes sont longues et pas forcément très intéressantes. Le paysage est monotone, à travers steppes andines et Monte, il n’y a pas grand chose à voir si ce n’est lors des quelques passages de montagnes, dans la Cuesta de Miranda par exemple. Alors, tête dans le guidon, musique dans les oreilles, nous enchaînons les kilomètres de route par centaines. Heureusement, les villages où nous nous arrêtons sont accueillants et il est toujours facile de trouver un spot de camping pour la nuit.
Les routes, aux alentours des villes, sont parfois bordés de plantation d’oliviers, de vignes, de noyers, de pommiers. A San Juan, nous sommes hébergés par Alfredo et Nelly. Nous avons rencontré leur fils, cyclo-touriste remontant vers la Colombie, quelque temps auparavant, et ils nous font gentiment visiter les environs, nous amenant dans une Bodega pour déguster les vins locaux et nous accompagnant à une démonstration de Tango, la dance argentine si connue. Le groupe de cycliste Ramon Cornejo nous prête leur foyer à Media Agua et à Mendoza Juan Carlos nous emmène faire un tour de vélo pour découvrir la cité. Quand nous sommes avec nos nouveaux amis, nous en profitons pour déguster les mets locaux car nos menus de voyage, bien que nourrissants, ne sont pas toujours un délice pour le palais. Le repas du midi étant plus cher qu’en Bolivie, nous sommes repassés en mode sandwich. Saucisses knacki, carotte, oignon et Queso Cremoso, un fromage à mi-chemin entre la mozarella et le camembert, sont au menu. Le soir nous alternons entre purée et polenta. Bref ça ne fait pas toujours rêver… La route continue, plus près des montages mais toujours à travers les steppes, chaque longue étape nous laissant épuisés. Nous apercevons à l’est l’Aconcagua enneigé, le plus haut sommets des Andes. Des flamands roses et des ibis, peuplent les quelques étendues d’eau que nous croisons. Les oiseaux migrateurs sont magnifiques et Clément en prends de nombreux clichés. Nous entrons dans la province de Neuquen et par la même occasion en Patagonie, région gigantesque qui englobe presque la moitié sud du pays. Le froid est revenu et après nos éreintantes journées de vélo, nous sommes souvent accueillis par des Mapuche. Leurs communautés indigènes sont bien présentes dans cette partie du pays et nous dormons fréquemment dans les refuges, les écoles ou les complexes sportifs des villages, protégés des rigueurs du climat et de la fraîcheur nocturne. Enfin, nous roulons une dernière journée dans le vent et passons un petit col qui nous amène dans la vallée de Junin de Los Andes. Le changement est radical, la végétation fait son retour, les prés sont verts et il y a beaucoup de rivières. Le coin est vraiment magnifique et durant les quelques jours qui suivent nous profitons de ces paysages alpins magiques, remontant la vallée Pil Pil, admirant les nombreux lacs qui bordent les routes, les immenses forêts de pins qui parsèment les vallées et des sommets enneigés qui nous encerclent de tout cotés. Partant parfois avant l’aube, emmitouflés dans nos habits chauds, nous observons avec émerveillement les levers de soleil sur les montagnes, les tons rosés de l’aurore se réflétant sur leurs pentes blanchies. De précieux moments à ne pas louper. A San Carlos de Bariloche, centre touristique de la région, nous sommes reçu par Miguel, cycliste passionné qui nous fait découvrir son petit atelier de construction de vélos et partage avec nous ses vastes connaissances sur le monde du deux roues. Tristement, Wolfi termine ici son périple, voyage d’un an déjà révolu. Nous prenons ensemble un ultime apéro, pas triste celui-là, partageant la fameuse viande argentine dans une grillade monstre, revivant nos dernières histoires avec nostalgie avant de le voir s’en retourner vers sa chère Allemagne. Repartant à trois, nous approchons, évoluant jour après jour dans ces décors boisés, de la fin de notre premier passage en Argentine. Une trentaine de kilomètres de chemin caillouteux après Trevellin, entourés par des genêts (ou leurs cousins) et pleine floraison, et nous voilà devant le poste frontière chilien de Futaleufu, un des points d’accès à la Carretera Austral.Route à suivre…
Simoun on décembre 11, 2015 at 9:56 said:
Toujours aussi impressionnant et enivrant… 😮 😎