Début Mars 2015, je viens de me glisser dans mon hamac, suspendu entre deux des poteaux de la structure abritant le 4×4 d’un des voisins. Il fait étonnamment frais pour une soirée dans la jungle panaméenne. La côte caraïbe n’est pourtant qu’à quelques kilomètres de là, mais il est à peine 21h que déjà l’humidité commence à recouvrir les sacoches de mon vélo, posé à quelques mètres de moi. Clément (alias Coco) et Samuel (alias Sam), notre compagnon de route depuis maintenant deux mois, sont déjà rentrés dans leur tente respective après l’assiette de riz cuit à l’huile de coco que nous a offert Annabella, notre sympathique hôtesse. Il faut dire que l’étape du jour a prélevé sa dîme et nos organismes ont été, une fois de plus, mis à rude épreuve. Il me prend l’envie d’écrire. J’allume la tablette qui, après maintenant presque deux ans dans mes bagages, met 2m30 à se lancer et, tandis que je regarde son écran noir fendu en trois, je remonte quelques mois dans mes souvenirs pour entamer cet article.
Jérémy (Alias Gooby)
Dans la pente Guatémaltèque.
12 Décembre 2014. Depuis Ciudad Cuauhtemoc au Mexique, nous arrivons au poste frontière du Guatemala au terme d’une montée harassante. La couleur est annoncée, le pays est montagneux. Les douaniers sont plutôt sympathiques et, sûrement parce qu’on a une bonne gueule, ne nous demande que 1$ de frais de gestion. Enfin frais de gestion… comprenez pots-de-vin. Et oui, même si les frontières d’Amérique Centrale ne nécessitent aucun visa pour les français, il faut parfois mettre tout de même la main à la poche pour payer des taxes, certaines officielles, d’autres moins. Nous rencontrerons quelques jours plus tard deux frères anglais qui s’en sont sortis pour la modique somme de 20$ par tête de pipe pour un passage au même endroit. Alors ne soyons pas chiches ! Et cette fois-ci les agents nous ont même donné une carte du pays !
Premier constat après quelques kilomètres. Les montagnes environnantes sont gigantesques, magnifiques et nous paraissent sacrément pentues ! Les vallées sont très encaissées et les routes pas toujours en bon état. Quand aux antiques bus qui naviguent, ils nous honorent d’un petit coup de klaxon pour nous dire bonjour et d’un énorme nuage de fumée noire pour nous dire au revoir. Cela ne vas pas être facile!! Nous roulons sur une première journée jusqu’à Huehuetenango, où nous sommes hébergés par Arturo. Ce dernier nous fait tester le café local : ouuhhh yeahhh, excellent, la saveur du suave nectar nous revigore en un rien de temps ! Le lendemain nous grimpons jusqu’à Quezaltenango. Cette fois-ci nous avons le droit à un jus de chaussette sucré en guise de café lorsque nous le commandons dans une tambouille locale après notre déjeuner! Qu’on se le dise, il n’y a pas que du bon café au Guatemala. A Xela (l’autre nom de Quezaltenango), Will nous reçoit dans sa grande colocation où sont de passage une troupe de percussionnistes du Salvador. Une bonne soirée rythmée s’en suit et nous finissons par nous effondrer sur notre duvet, rattrapés par la fatigue. Nous reprenons la Panaméricaine et montons jusqu’à 3100m. C’est là-haut, posés à coté d’une vue à couper le souffle, que nous rencontrons Eugène, Samuel Et Bala, trois autres cyclistes au long cours. Les deux premiers sont Québécois, le troisième Anglais d’origine Indienne. Le contact passe rapidement et nous échangeons blagues et aventures au sommet de la route mythique. Nous partons en suivant sur une descente incroyable, à cinq cyclos, se tirant la bourre pendant un bon quart heure, 60Km/h de moyenne, récompense enivrante après ces heures de grimpette exténuante. Nous nous séparons quelques encablures plus loin, avec la promesse de se rejoindre plus tard sur le chemin. Les trois compères ont décidé d’explorer la partie nord du lac Atitlan, alors que nous souhaitions parcourir la rive sud. Quelle inspiration n’avons nous pas eu…Gooby :
Réparation rapide et nous continuons tant bien que mal notre descente, faisant régulièrement des arrêts pour asperger d’eau les jantes de Coco qui fument à chaque contact. Enfin, la récompense est là, le lac est magnifique, encaissé entre les montagnes et, après une petite baignade dans ces eaux claires, nous campons le long des berges sur une pelouse qui n’attendait que nous. Le lendemain, nous longeons la rive sud dans une étape encore épique, le crochet par le volcan San Pedro et ses pentes à 25% resteront gravés dans nos mémoires, notamment les deux heures que Jérémy a mis pour gravir les quatre premiers kilomètres entouré par les champs de café et de maïs, et les deux suivantes dans la descente non asphaltée où Clément finira par pousser son vélo après une gamelle réglementaire.Le lac se situe aux environs des 1500m, nous savions donc que nous devions continuer à descendre. Mais nous arrivons alors dans une pente de psychopathe. Je n’avais jamais vu une route aussi pentue. Nous sommes debout sur les freins et pourtant nous continuons à avancer. Je suis derrière Coco quand j’entend tout à coup un grand « Pak!! ». Son vélo fait une embardée et il se retrouve ni une ni deux dans le caniveau, a freiner avec les pieds et tentant désespérément d’arrêter son bolide. Rapidement, nous constatons les dégâts. La jante a surchauffé à cause des frottements des patins et la température était si forte que cela a fait fondre le fond de jante et la chambre à air, qui a fini par exploser… Première fois que je vois ça…
D’un anniversaire au volcan Fuego
Après une deuxième nuit au bord du lac, nous ressortons de la cuvette. La montée est longue, abrupte et parsemée de pauses soda pour se rafraîchir. Après 30 Km bien fatiguant, nous réalisons que c’est l’anniversaire de Gooby. Estimant avoir eu notre comptant de friandises pour la journée, nous nous stoppons à la première occasion, dans le premier petit resto que nous croisons aux abords de Patzun et passons l’après-midi a déguster de la Gallo, la binouze locale. Un programme, il faut l’avouer, bien plus appétissant. Après s’être liés d’amitié avec le patron, nous finiront par dormir dans son jardin au terme de soirée de réjouissances. C’est fringant et la tête fraîche que nous repartons le lendemain vers Antigua. Sur place, l’ancienne ville coloniale, très prisée des touristes, possède une architecture et des bâtiments très jolis. Néanmoins nous sommes déçus quand nous apprenons que la police touristique (la POLITUR) n’accepte que les voyageurs en véhicule sur leur terrain de camping, une question d’image apparemment. Cyclo-touristes et Backpackers de tout poils soyez avertis! Nous remercions l’agent à l’entrée, qui était réellement désolé de nous annoncer cela, et sur un coup de tête nous repartons alors que le crépuscule pointe déjà le bout de son nez. Habituellement, nous mettons toujours un point d’orgue à trouver un emplacement pour la tente bien avant que l’obscurité ne survienne. Pour des raisons de sécurité premièrement car il est réellement plus dangereux de rouler de nuit en vélo, surtout dans ces pays où piste cyclable et code de la route sont des mots qui n’existent pas encore dans le dictionnaire. Deuxièmement, il est toujours plus facile de trouver un coin d’herbe sympa avec une belle vue et une rivière « propre » pour se laver quand on y voit quelque chose. Nous sommes donc un peu en stress de voir la lumière décliner et, après une dizaine de kilomètres et trois tentatives ratées, nous optons pour le premier trou dans la haie que nous voyons, passons par dessus le fossé et entrons dans un champ d’énormes caféiers.Les derniers rayons de soleil nous permettent d’apercevoir le volcan Fuego fumant à quelques kilomètres devant nous, promesse d’une vue magique au réveil. Nous avons à peine fini de planter la tente que la nuit est là. Clément aperçoit alors deux lumières un peu plus loin dans le champ :
J’entends que ça appelle et je m’approche donc des lumières, histoire de démêler un problème avant qu’il ne commence. Mais plus j’approche, plus c’est calme et, comme les deux loupiotes sont pointées directement sur moi, je ne vois rien du tout. Quand finalement je distingue mes futurs interlocuteurs, mon regard se fixe en premier sur les deux fusils à pompe que portent en mains chacun des deux gardes à l’air très sérieux devant moi. Petit coup de pression. J’explique alors rapidement, dans mon espagnol littéraire, que nous sommes deux cyclistes en voyage, surpris par la nuit et qui ont décidé de camper ici, sans réellement savoir où ils étaient. Les fusils retombent le long des hanches et un des types, voyant bien que je suis inoffensif, souris et m’explique que nous sommes sur une propriété privée qui produit du café, qu’ils sont les gardes de nuits et que, en gros, nous n’avons rien à faire ici. J’argumente vite fait que nous avons déjà planté les tentes, qu’il fait nuit, que c’est dangereux pour nous de repartir etc… Finalement le garde très compréhensif appelle son chef pour savoir ce qu’il doit faire de nous. Le bonhomme en question rapplique un quart d’heure plus tard et, après avoir vus nos têtes enfarinées, nos tentes et nos vélos, estimant sûrement que nous n’avions pas la bobine de voleurs de café, nous autorise à passer la nuit ici. Ouf, la pression redescend ! Par contre, rapport aux gardes, ne sortez pas de vos tentes sans vos lumières de poches après 21h, nous ajoute-t-il avant de repartir. Très bien pas de souci ! Merci monsieur, nous nous calons dans nos duvets tout de suite et nous ne verrez pas nos oreilles avant demain matin ! Merci beaucoup !!
Lorsque nous nous réveillons à l’aube, nous prenons un rapide petit déjeuner au milieu de ce champ de café, devant le volcan Fuego qui fume dans le petit matin, profitant de cette vue magique tout en rediscutant de nos péripéties de la veille. Ça, ça n’a pas de prix! Un dernier bonjour aux gardiens de nuit qui finissent leur tournée, toujours avec leur shotguns, et nous voilà déjà repartis pour une nouvelle journée d’aventures.
Noël sur les plages Salvadoriennes
Trois jours plus tard, nous passons la frontière du Salvador le long de la côte pacifique, doublant une file de plus de 8km de camions attendant leur tour. Qu »il est bon parfois d’être en vélo! Pour rentrer dans le pays par voie terrestre, pas de souci, même pas besoin de tampon. Nous en demandons néanmoins un factice, histoire de garder un souvenir, et les douaniers obligeants et souriants nous estampillent le passeport. Et nous voilà dans ce petit pays, destination de plus en plus en prisée par les touristes, notamment pour ces plages de surf, dont la capitale est San Salvador et la monnaie officielle le Dollar.A peine quelques longueurs plus loin, nous recroisons Bala, notre ami cycliste Indien. Il est taillé pour la route sur son Bianchi de course et sa remorque. Le bonhomme préparait son aventure Alaska-Argentine depuis plusieurs années et se délecte maintenant de chaque moment passé sur le chemin. Enseignant, il s’arrête également souvent dans les écoles pour partager son voyage avec les enfants. Nous vous engageons à lire son blog sur http://www.freebuffalo.co.uk, qui, en plus de vous emmenez voyager, est une mine d’informations en tout genre. Nous roulons donc de nouveau avec lui, cette fois le long de la côte Salvadorienne. En passant, petite astuce pour nos amis cyclistes : au Salvador, vous pouvez demander l’hospitalité dans les capitaineries des ports. Les gens y sont accueillant et mettent souvent à disposition une chambre, avec lit et douche. C’est testé, validé, approuvé !
C’est la saison sèche, il fait extrêmement chaud et nous suons à grosses gouttes sur la route vallonnée qui longe plages et falaises magnifiques. Bala remarque vers midi que nous ne sommes plus très opérationnel et nous propose de faire une pause déjeuner. Il ne faut pas nous le proposer deux fois ! Nous approchons d’un stand au bord de la route et demandons ce qu’ils servent. « Pupusas, 25 centavos cada », nous répondent-ils. Ah, enfin nous allons pouvoir goûter le typique plat salvadorien dont nous ont parlé les troubadours au Guatemala! Et pour 0.25$ chaque, ça sent le cassage de bide à plein nez tout ça! Tout excités, nous regardons de plus près la cuisinière les confectionner à la main. Elle utilise une pâte de maïs pour faire une tortilla d’environ 10 cm de diamètre pour un d’épaisseur dans laquelle vont se rajouter des haricots rouges en purée et du fromage. Cela sent divinement bon. Un regard entendu est échangé et Coco annonce :
Ocho pupusas por favor !
Ocho por los dos ?
Nous retrouvons le même jour Eugène et Samuel. Le premier termine son voyage en vélo, de Seattle au Salvador, et sa famille vient tout juste de le rejoindre pour passer les fêtes de fin d’année ensemble. Extrêmement sympathiques, accueillants et le coeur sur la main, ils nous invitent, ainsi que Bala et Samuel, dans la maison qu’ils ont louée pour l’occasion. Piscine, 200m de la plage, hamacs et franche camaraderie, nous ne vous faisons pas de dessin sur le Noël magique que nous avons passé tous ensemble. Nous créons un lien d’amitié fort avec nos cousins du Québec, gaussant sur les accents des uns et des autres, échangeant nos histoires de cyclistes. Bala, cuisinier émérite, nous concocte des plats fameux de chez lui. Le poisson au curry le jour du réveillon restera un de nos souvenirs gustatifs les plus émouvant. Quant à nous, piètres cuistots mais fort de notre expérience de plongeurs dans le Colorado, nous retournons à la vaisselle avec grande joie !No, no !!! Ocho cada uno !!
Sous les vents du Honduras et du Nicaragua
Noël vient tout juste de se terminer et nous faisons nos adieux à tout nos nouveaux amis en les remerciant du fond du coeur pour les moments partagés. Tous sauf un. Samuel a décidé de nous accompagner un peu sur la route. Lui a commencé son road trip il y a une dizaine de mois, en Californie et ma fois, ne sais encore trop où il va le terminer. Le jeune Québécois de 20 ans se révèle un excellent compagnon de route, toujours agréable et la banane ! Nous glissons rapidement sur les dernières routes salvadoriennes, et malgré quelques pupusas qui sont passés de travers, le moral du groupe est au pus haut.
Au poste frontière avec le Honduras, nous apprenons que toute personne ne venant pas d’Amérique Centrale se doit d’acquitter une taxe de 3$. Une fois l’impôt payé, nous avançons rapidement. Le Honduras a récolté ces derniers années une mauvaise réputation, notamment à cause du banditisme qui sévit dans quelques régions du pays. Nous avions fait le choix de prendre le chemin le plus court, dans la partie sud du pays, la plus sûre, une petite bande de 130 Km entre le Salvador (à Pasaquina) et le Nicaragua (à Somotillo). Il y a beaucoup de soleil, de belles collines, et avec le vent qui souffle, nous arrivons exténué à Choluteca. Là, nous passons le réveillon du nouvel an en compagnie de Rafael, que nous remercions pour son hospitalité. Quelques tours de pédale et nous voilà déjà au Nicaragua. Taxe de 12$ acquittée à la frontière, et nous voilà arpentant les routes plutôt planes du pays. Notre premier soir, étant loin de toute civilisation, nous ouvrons la barrière du premier champ que nous trouvons et plantons la tente au milieu des vaches. Les bergers rappliqueront un peu plus tard, à dos de cheval, armés tout de même d’un fusil à pompe, et ne verront aucun problème à nous laisser passer la nuit ici. Cela tombe bien, car la vue sur le volcan San Cristobal dans le coucher de soleil est splendide et malgré la douche vaseuse dans la mare et les quelques moustiques, nous profitons à nouveau d’un moment magique. Il existe un phénomène entre la mer caraïbe et l’océan pacifique qui, durant la saison estivale, créé un très fort courant d’air allant d’Est en Ouest. Nous longeons donc le lac Managua avec le vent quasi en pleine bougie et finalement, également asphyxié par forte circulation présente sur la route de la côte pacifique, nous décidons de bifurquer à Managua, la capitale, et de rejoindre la route à l’est du lac Nicaragua. Nous la rejoignons au terme d’une journée éreintante et épique dans le vent implacable et impitoyable, à travers les champs de riz sur les chemins cabossés de Malacatoya. La végétation y est moins sèche qu’à l’ouest du pays, la route beaucoup plus calme coté trafic. Il n’y a pas beaucoup de hautes montagnes dans le pays, mais le peu de pentes qui existent sont mortelles. La petite route qui nous amène jusqu’à Morrito, où nous tâtons les eaux du lac Nicaragua, en est un exemple flagrant, et ses fortes inclinaisons sont un calvaire pour Gooby qui halète tout le long.Nous arrivons finalement le lendemain à San Carlos. Il existe depuis peu un pont qui relie à l’est du lac le Nicaragua et le Costa Rica, mais au moment où nous passons, en Janvier 2015, les postes frontières n’ont pas encore été habilités. Nous devons donc trouver un bateau pour passer au Costa Rica. En ville, nous sommes hébergés au pied levé par Guabino et sa famille qui nous ont beaucoup parlé du futur canal au Nicaragua, qui concurrencera le Canal de Panama dans les années à venir. C’est un espoir économique très fort pour ce pays, le plus pauvre d’Amérique Centrale. Nous remercions nos hôtes au petit matin et nous hâtons vers l’Office Portuaire où, après une journée de négociation et d’attente, nous arrivons finalement à faire embarquer nos trois montures sur une des barquettes qui descendent le Rio Frio, à travers le magnifique Refugio de la Vida Sylvestre Los Guatuzos, pour rejoindre le Costa Rica.
Clém on mars 12, 2015 at 11:26 said:
merci!
Je suis dans le train, un peu frustrée que le récit s’arrête, il m’a permis de passer un très bon moment (comme à chaque fois) j’ai imaginé que je partais pour des contrées lointaines et sauvages… Message sonore « ce train desservira… Angoulême, Poitiers… » Retour violent à la réalité 🙄
Kris on mars 15, 2015 at 4:06 said:
You have me dreaming of all the wonderful places and experiences! Thank you 🙂
Guy on mars 15, 2015 at 10:59 said:
Salut les promeneurs !
Je vous suis sans rien dire depuis votre départ, mais là je commençais à être un peu inquiet de votre silence !
Bravo à tous les deux, vous réalisez nos rêves …
Bonne continuation et au retour, clairement, vous pourrez publier vos commentaires, ils sont exceptionnels !
Michèle Alain on mars 18, 2015 at 4:55 said:
La famille du Nord est admirative ! On vous suit…sur la carte et à travers vos textes et photos. Bises
maya on mars 19, 2015 at 11:36 said:
Allez quitte ton hamac et retourne pédaler on veut d autres aventures encore 😛